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Cinquante nuances de Grey : un ouvrage de réflexion ?
Un dossier réalisé par Jean-Charles, bibliothécaire au Mont-Valérien

Cinquante nuances de Grey de E.L.James est le premier volet de la trilogie Fifty Shade of Grey.

Le roman érotique : voilà un sujet croustillant. Mais pas n’importe quel roman érotique, il s’agit d’un nouveau genre baptisé par les médias anglo-saxons du terme charmant et élogieux de... « Mommy porn ». Le « porno pour mères de famille », le « porno pour mamans » ou le « porno pour ménagères », comme on dit si bien en France, occupe le terrain médiatique depuis plusieurs mois, au point que même le journal télévisé s’y est intéressé. Bref, ce roman, très vite popularisé grâce aux liseuses numériques (un peu de discrétion, que diable !), connaît un véritable succès : 65 millions d’exemplaires vendus dans le monde (l’équivalent de L’Alchimiste de Paulo Coelho). Même ma libraire me l’a déposé entre les mains, alors que j’ignorais jusqu’alors l’existence d’une telle littérature... Pour finir, les studios Universal ont payé 5 millions de dollars pour obtenir les droits du livre. A quand l’adaptation cinématographique ?

Pour la petite histoire, cette romance érotique est une fanfiction (c’est-à-dire une histoire inventée et écrite par un fan s’inspirant d’une œuvre existante, et en reprenant l’univers et les personnages) inspirée de la célèbre série pour ados Twilight et publiée sur un site par Erika Leonard James, productrice anglaise pour la télé. Elle en a fait une version gentiment pornographique. L’auteure britannique reprend la relation dominant-dominée entre Bella et Edward, les héros de la saga de vampires, en la pimentant cette fois-ci avec des scènes « softs » de sadomasochisme. Cette reprise a vite attiré de nombreux lecteurs et, devant ce succès, E L James a modifié les noms et certains détails pour ne pas froisser les droits d’auteur. Elle a vendu son livre à une petite maison d’édition australienne.

Ayant ce livre entre les mains, je me suis décidé à le parcourir pour m’en faire une idée. Donc, je le feuillette délicatement, je lis quelques chapitres et le verdict tombe. Je précise avant toute forme de représailles que ce n’est que mon avis, et que vous n’êtes pas obliger de le partager.

Voyons d’abord l’histoire en elle-même.
Le scénario est simple. Elle, Anastasia Rose Steele (Ana pour les intimes), est étudiante en littérature. Elle est jeune, naïve et aussi innocente que la brebis qui vient de naître : elle est vierge. Lui, Christian Grey, est un jeune chef d’entreprise, sûr de lui. Il est riche, très riche, immensément riche. Et ce n’est pas tout, il est beau comme un Dieu, le kéké. Mais alors là, très, très beau (vivement le mariage pour tous !). Et s’il nous arrivait d’oublier ce détail, Anastasia ne manquera pas de nous le rappeler. Bon, revenons à notre histoire. Comment les deux personnages se rencontrent-ils ? C’est simple, sa colocataire étant malade, elle la remplace pour interviewer le milliardaire. Lorsqu’elle le voit, elle le trouve... beau, séduisant, et mystérieux, mais tellement intimidant. Bon, entre les deux, bien sûr, c’est le coup de foudre. Il fallait s’en douter un tout petit peu. Ils se désirent. Ils entament donc une liaison passionnée (aaah l’amour...). Mais, car il y a un « mais » dans chaque conte, Christian a un secret qu’il ne gardera pas bien longtemps : il est sadomasochiste et il aimerait bien attacher Ana à son lit, et...(censuré). Je vous laisse découvrir la suite.

Place au style maintenant.
L’écriture du roman est d’une telle simplicité que je pourrais très bien le laisser au Pôle jeunesse, un enfant n’aurait aucun problème pour le lire et le comprendre (rassurez-vous, je m’en garderai...). A moins, qu’il ne s’agisse d’un problème de traduction... En résumé, le livre se lit d’une seule main (l’autre est évidemment occupée à tourner les pages). Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore le livre, je vous invite à lire l’article sur evene.fr où vous retrouverez des passages du roman.

Alors pourquoi cet engouement pour ce livre chez un lectorat essentiellement féminin ? Pourquoi 65 millions d’exemplaires vendus ? J’avoue que cela me laisse assez perplexe, et les questions se multiplient : Simplicité de l’histoire ? L’impression de découvrir des personnages ressemblant à des « gens de tout les jours » ? Le désir de mener une vie parallèle dans un monde en pleine crise ? Une manière de fuir l’austérité d’une économie instable ? Une nouvelle révolution sexuelle (le désir de tout faire et de tout essayer) ? Est-ce un moyen de raviver le couple ? Est-ce afin de vivre dans un monde où les relations dominants/dominés sont choisies et maîtrisées (contrairement à la crise actuelle) ? Un phénomène de mode qui passera d’ici peu ? Est-ce l’histoire d’un amour entre un homme, apparemment puissant et sûr de lui, et une femme, pas si fragile que ça, qui l’aidera à sortir de l’ombre qui attire les femmes ? Ou est-ce un tournant de notre société ou un retour en arrière pour la femme ?

Ce roman pointe du doigt une évolution contemporaine de notre société en période de crise. Pas seulement une crise économique, mais aussi identitaire pour la femme et l’homme. C’est le moment de tirer la sonnette d’alarme. Car tout ceci nous indique l’état de santé de notre société hautement fragilisée par une crise qui n’en finit pas. L’auteure remet d’une certaine manière ses personnages à leurs places « respectives » : l’homme aux finances, assurant protection matérielle et avenir à sa famille, et la femme « thérapeute », bonne assistante, équilibrant psychologiquement l’homme pour le ramener à la raison (ou à la maison). Nous sommes au stade du conte de fée avec le prince charmant et la belle princesse. La femme occidentale démontre, en aimant ce récit, son ambiguïté face à son positionnement dans la société actuelle.

Il aurait été pourtant amusant d’inverser les rôles avec une femme à la tête d’une grosse entreprise du CAC40 et un jeune étudiant naïf venant l’interviewer. Cela n’aurait aucunement modifié l’érotisme de l’histoire : les jeux sexuels de domination et de soumission seraient maintenus. Est-ce que cela traduit une volonté de la femme de se mettre sous la protection masculine par peur de la crise ? Ou est-ce que cela traduit une incapacité psychologique d’aller jusqu’au bout de la révolution sexuelle ?

D’autre part, cette image que renvoie l’auteure n’est pas forcément flatteuse pour l’homme, car celui-ci doit être très riche et très beau (ou très beau et très riche, tout dépend de l’ordre que vous souhaitez, mais cela revient à peu près au même) pour séduire une femme. Cet idéal masculin que représente Grey n’est pas vraiment facile à atteindre pour la plupart d’entre nous (trois fois hélas !).

Je vous invite donc, mesdames, à lire également Quarante-neuf nuances de Loulou de Rossella Calabro pour nuancer cette vision idyllique tout en riant.

Une chose est sûre, c’est que les jeux sexuels « se démocratisent » de plus en plus, mais est-ce pour paraître normal dans une société où la norme est omniprésente ?

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