El GRECO
ZURBARAN & MURILLO
Diego VELASQUEZ
Francisco GOYA
Auditorium de la Médiathèque
Réservation conseillée au 01.47.14.54.54
Le cycle précédent était consacré au siècle d’or néerlandais. Le nouveau cycle divisé en quatre parties s’étendra du règne de Philippe II d’Espagne et son engagement dans la Contre - Réforme, jusqu’au siècle des Lumières représenté par l’art de Goya. Un accent particulier sera mis sur les liens profonds noués par les différents centres de la pensée et de l’art. Comment l’art d’inspiration byzantine, flamande, néerlandaise et italienne est venue s’ajouter au creuset local pour sublimer la matière picturale jusqu’à créer un autre siècle d’or. Il sera d’abord question de la peinture du Greco, puis de celle de Zurbaran et de Murillo. La troisième rencontre sera consacrée à Vélasquez, la quatrième et dernière à Goya.
Le Greco, le bouquet final de la Renaissance
Le peintre, sculpteur et architecte grec de la Renaissance espagnole El Greco naît en 1541 en Crète à Candie (aujourd’hui Héraklion), sous le nom de Domenikos Theotokopoulos. Il est connu en Italie sous le nom du Greco (Le Grec). El Greco décède à Tolède le 7 avril 1614, à l’âge de 73 ans. Il incarne dans sa peinture l’une des évolutions les plus complexes que nous puissions rencontrer à travers l’histoire de l’art. Né en Orient, dans un environnement culturel marqué par l’ancien Empire Byzantin, où la peinture est soumise aux règles rigoureuses de l’écriture des icônes, il va progressivement s’affranchir de cet héritage. Il va non seulement conquérir toutes les techniques figuratives propres à l’Occident de manière magistrale (la perspective, la volumétrie des silhouettes, la psychologie des personnages, tout ceci n’existant pas dans la peinture des icônes byzantines), mais il va aussi parvenir, dans sa plénitude, à créer un style personnel et inimitable. Candie étant alors une possession vénitienne, c’est naturellement qu’il s’installe à Venise où on le retrouve dans l’atelier du Titien. On peut difficilement imaginer meilleure formation à l’art occidental auprès du peintre qui, selon Lodovico Dolce, « alliait la grandeur et le côté terrible de Michel-Ange à la grâce, à l’élégance de Raphaël et aux couleurs propres à la nature. ». Le dessin préparatoire sur papier devient secondaire et parfois disparait. Les jeux de peinture se superposent à même le tableau et le composent peu à peu avec des effets de pinceau nettement plus marqués. Il rencontre également à Rome des espagnols, en particulier un prêtre, Luis de Castilla, dont le père était doyen du chapitre de la cathédrale de Tolède. C’est probablement par ce canal que Le Greco a connaissance du grand projet de Philippe II (1527-1598), le roi d’Espagne : la construction puis la décoration de l’Escurial (El Escorial) au nord de Madrid. Il s’agit d’un vaste complexe architectural comportant palais, église, monastère. Des opportunités vont donc apparaître pour un jeune peintre talentueux. Il part en 1576 pour Madrid, où il ne fait que passer, puis se dirige vers Tolède. Le Greco fait partie de ces artistes solitaires qui construisent leur œuvre en toute liberté sans se rattacher à un courant ou même aux tendances dominantes de leur époque. Ils ont sans doute existé de toute éternité mais beaucoup ont sombré dans l’oubli. D’autres ont été tardivement glorifié, comme Jean-Siméon Chardin, ou sacré génie universel avec quelques décennies de retard, comme Vincent Van Gogh. Pourquoi peut-on reconnaître immédiatement les œuvres majeures du Greco sans être aucunement un spécialiste ? Pourquoi suffit-il de les voir une fois pour identifier immédiatement un style, une forte singularité ?
C’est évidemment que de puissantes spécificités les caractérisent. La peinture du Greco est une synthèse improbable de tendances byzantines et de maniérisme italien au service d’une intériorité exaltée. Car à son acmé, c’est-à-dire dans les dernières décennies de sa vie, Greco s’oriente délibérément vers un expressionnisme qui ne réapparaîtra qu’au début du 20e siècle.
D’après les annotations de sa main aujourd’hui retrouvées aux Dix Livres d’architecture de Vitruve et sur les Vies de Vasari, sa connaissance du grec est aussi attestée par un solide fonds classique (Aristote, Xénophon, Homère, Plutarque). Grâce à ces annotations identifiées, Le Greco apparaît désormais comme un homme de son temps, un artiste cultivé, un humaniste soucieux de défendre la supériorité des Modernes sur les Anciens. En dépit de ses références à la culture antique et à son intégration aux milieux humanistes italiens et espagnols, sa peinture représente pourtant un art singulier où la perception du monde est profondément transfigurée par la subjectivité, mais cette subjectivité concilie une parfaite connaissance de la peinture avec une très grande puissance créatrice issue à la fois d’une grande force intellectuelle et d’une perception transcendante du monde réel.
Zurbaran (1598-1664)
Francisco de Zurbarán naît en 1598. Il est le fils d’un commerçant modeste. A l’âge de quatorze ans, il entre en apprentissage chez un peintre de Séville, Pedro Diaz de Villanueva. Il se marie en 1617. Trois enfants naîtront de cette union. Dès le début des années 1620, il commence à être connu et reçoit des commandes des églises locales. La suite de la vie artistique de Zurbarán est liée à des contrats conclus avec des ordres religieux pour la décoration de leurs édifices. Ainsi, en 1626, il s’engage à exécuter vingt-et-un tableaux pour la communauté des Frères prêcheurs de l’ordre dominicain de Séville. Son Christ en Croix (1627) est tellement admiré que les édiles municipaux sévillans lui proposent de venir s’installer dans cette ville en 1629. D’autres contrats suivront avec d’autres communautés religieuses. En 1634, Zurbarán séjourne à Madrid. Il y retrouve le peintre sévillan Diego Vélasquez avec lequel il s’était déjà lié d’amitié. La découverte des peintres italiens travaillant pour la cour d’Espagne, par exemple Angelo Nardi (1584-1664) ou Guido Reni (1575-1642), l’amènera à s’éloigner du ténébrisme de ses débuts. Le titre de Peintre du Roi lui est accordé. Les commandes vont alors affluer, y compris depuis l’Amérique du Sud. En 1644, Francisco de Zurbarán se marie pour la quatrième fois : il épouse Leonor de Tordora qui a vingt-huit ans et lui donnera six enfants. Sur le plan artistique, il jouit d’une réputation internationale bien établie : ainsi en 1647 un couvent péruvien lui commande trente-huit tableaux.
Zurbarán est, avec Vélasquez et Murillo, le peintre espagnol le plus connu du 17e siècle. Si son œuvre est parfois marquée par le ténébrisme, ce courant n’en est qu’un aspect secondaire. On a qualifié de ténébrisme une variante du baroque proche de Caravage (clair-obscur), mais accentuant les ombres.
Les œuvres les moins ténébristes de Zurbarán, les plus nombreuses, sont aussi les plus proches de notre sensibilité. Certains tableaux commandés par des ordres religieux comportent une conception de l’espace et un traitement de la couleur proches de la peinture contemporaine. Zurbarán représente avec quiétude la mort, la vie quotidienne ou des épisodes bibliques.
Zurbarán est un grand portraitiste. Les portraits de saintes sont en fait des représentations de dames en costume de l’époque. Les dames en question, en se faisant représenter avec les attributs de leur sainte patronne, étaient ainsi dans la ligne du congrès de Trente (lutte contre le protestantisme). Le thème de l’enfance est également très intéressant chez ce peintre. L’époque impose l’omniprésence de la religion et il s’agit donc de l’enfance de la Vierge ou de celle de Jésus-Christ. Mais le sujet est traité avec une délicatesse et une humanité qui dépassent de beaucoup son caractère religieux.
Les natures mortes de Zurbarán sont des chefs-d’œuvre. Avant Chardin (1699-1779), il parvient à faire vivre les objets les plus banals. Le fond sombre de ses natures mortes leur donne une luminosité et un relief exceptionnels.
Murillo 1617-1682
Bartolomé Estéban Murillo est né en 1617 à Séville (Andalousie) où son père exerçait la profession de chirurgien-barbier (médecin actuel). Dès l’âge de 10 ans, il devient orphelin de père et mère et il est accueilli chez son beau-frère. En 1633, il entre en apprentissage dans l’atelier de Juan del Castillo (1590-1657) peintre baroque sévillan. Il quitte cet atelier en 1639 pour s’installer à Cadix où il trouve un public local en peignant des tableaux peu coûteux.
Vers 1640, il rencontre Pedro de Moya (1610-1660), peintre baroque qui a été l’élève d’Antoine Van Dyck (1599-1641), le grand peintre flamand. Il découvre alors la peinture flamande. De retour à Séville, les franciscains de la ville lui commandent onze tableaux pour le cloître de leur couvent (dont La Cuisine des Anges, 1646). Il peint également de nombreuses scènes de genre dans lesquelles il excelle (Garçon avec un chien, 1650). En 1645, il se marie avec Beatriz Barera qui lui donnera plusieurs enfants. Sa renommée locale se consolide et il dirige bientôt un atelier employant de nombreux aides et recevant des apprentis. En 1660, il fonde l’Académie des Beaux-arts de Séville et la préside. Il devient alors le chef de file de l’école de Séville qui rivalise avec celle de Madrid. Il continuera à peindre à Séville des tableaux religieux, des scènes de genre, des portraits et même des paysages. Sa mort survient en 1682 à la suite d’une chute d’un échafaudage alors qu’il peignait un retable au couvent des capucins de Cadix. Murillo a connu une renommée internationale du début du 18e siècle au milieu du 20e siècle et il été quelque peu oublié par la suite. L’artiste fut apprécié de l’élite européenne et particulièrement de l’aristocratie anglaise. S’il reste encore influencé par le ténébrisme à ses débuts, Murillo quitte rapidement la rudesse du début du 17e siècle espagnol. Ses tableaux, même les scènes de genre, idéalisent le réel et comportent une note intimiste, élément de transition vers le rococo du 18e siècle.
Diego Vélasquez est un peintre du siècle d’or espagnol. Il est considéré comme l’un des principaux représentants de la peinture espagnole et l’un des maîtres de la peinture universelle. Il passe ses premières années à Séville, où il développe un style naturaliste à base de clairs obscurs. À 24 ans, il s’installe à Madrid, où il est nommé peintre du roi Philippe IV et, quatre ans après, il devient peintre de chambre, charge la plus importante parmi celles dévolues aux peintres de la cour. Comme artiste, de par son rang de peintre de cour, il réalise essentiellement des portraits du roi, de sa famille et des grands d’Espagne ainsi que des toiles destinées à décorer les appartements royaux. Comme surintendant des travaux royaux, il acquiert en Italie de nombreuses œuvres pour les collections royales, des sculptures antiques et des tableaux de maîtres, et organise les déplacements du roi d’Espagne. Sa présence à la cour lui a permis d’étudier les collections de peintures royales. L’étude de ces collections ajoutée à celles des peintres italiens lors de son premier voyage en Italie, a eu une influence déterminante sur l’évolution de son style, caractérisé par une grande luminosité et des coups de pinceau rapides. À partir de 1631, il atteint sa maturité artistique et peint de grandes œuvres comme la Reddition de Breda.
Pendant les dix dernières années de sa vie, son style se fait plus schématique, arrivant à une domination notable de la lumière. Cette période commence avec le Portrait du Pape Innocent X peint lors de son second voyage en Italie, et voit la naissance de deux de ses œuvres maîtresses : Les Ménines et les Fileuses. Son catalogue contient de 120 à 125 œuvres peintes et dessinées. Célèbre bien après sa mort, la réputation de Vélasquez atteint un sommet de 1880 à 1920, période qui coïncide avec les peintres impressionnistes français pour qui il constitue une référence. Manet émerveillé par sa peinture le qualifia de « peintre des peintres » puis de « plus grand peintre qui ait jamais existé ». La majeure partie de ses toiles, qui faisaient partie de la collection royale, est conservée au musée du Prado à Madrid. La reconnaissance universelle de Vélasquez comme grand maître de la peinture occidentale est relativement tardive. Jusqu’au début du XIXe siècle, son nom fut peu cité hors d’Espagne et rarement entre les peintres majeurs132. Dans la France du XVIIIe siècle, il fut souvent considéré comme peintre de second rang, connu des seuls érudits et amateurs de peinture au travers d’une poignée de tableaux Les causes sont variées : la majeure partie de l’œuvre du peintre provenait de son service pour Philippe IV, en conséquence, la quasi-totalité de son œuvre resta dans les palais royaux espagnols, lieux peu accessibles au public. qui partageait l’incompréhension générale envers les peintres de la fin de la Renaissance et du Baroque, comme Le Greco, Le Caravage ou Rembrandt, qui durent attendre trois siècles pour être compris des critiques, qui encensaient d’autres peintres comme Rubens, Van Dyck et plus généralement ceux qui avaient persisté dans l’ancien style. Le peu de chance de Vélasquez avec la critique commença probablement assez tôt. Goya déclarait n’avoir d’autre maîtres que Vélasquez, Rembrandt et la nature. L’étape essentielle que constitue Vélasquez dans l’histoire de l’art est perceptible jusqu’à nos jours, à travers la façon dont les peintres du XXe siècle ont jugé son œuvre. C’est Pablo Picasso qui a redu à son compatriote l’hommage le plus visible, lorsqu’il a réinterprété Les Ménines (1957) en conservant avec précision la position originale des personnages.. En 1953, Francis Bacon peignit sa célèbre série Étude d’après le portrait du pape Innocent X par Vélasquez. Salvador Dalí réalisa en 1958 une œuvre intitulée Vélasquez peignant l’infante Marguerite avec les lumières et les ombres de sa propre gloire, suivie des Ménines (1960) et d’un Portrait de Juan de Pareja réparant une corde de sa mandoline (1960) pour célébrer le tricentenaire de sa mort où il utilisa les coloris de Vélasquez.
Un autre peintre espagnol, grand admirateur de Vélasquez et de Rembrandt, est considéré comme un maître de la peinture universelle, Francisco de Goya. Il s’agit d’un phénomène unique dans l’histoire de l’Espagne, qui tient à la situation du peintre, d’une part vis-à-vis de son peuple, mais aussi, d’autre part, par rapport à l’évolution générale du temps. Au lendemain de la Révolution française les idées des Lumières se répandent à en Europe. Elles parviennent en Espagne, où elles sont véhiculées par l’armée d’occupation de Napoléon. Peut-on imposer les plus belles idées par la force ? Goya qui fréquente les milieux éclairés de Madrid est le témoin privilégié de ces bouleversements. Il va s’attacher à l’exploration des zones d’ombre projetées par l’esprit des Lumières. L’Espagne trouve en Goya un observateur d’une cruelle lucidité, à un moment décisif de son destin historique, alors que s’opère le renouvellement politique et social du pays à travers le drame d’une guerre de libération nationale.
Comme le souligne Tzvetan Todorov dans son livre, Goya à l’ombre des Lumières : « La révolution picturale qui se manifeste à travers l’œuvre de Goya fait partie d’un mouvement qui inclut la montée en puissance de l’esprit des Lumières, la progressive sécularisation des pays européens, la Révolution française et la popularité croissante des valeurs démocratiques et libérales. (…) la peinture n’a jamais été un simple jeu, pur divertissement, élément décoratif arbitraire. L’image est pensée, non moins que celle qui s’exprime par des mots ; elle est toujours réflexion sur le monde et les hommes. »
L’œuvre de Goya s’est construite autour du dessin de la peinture et de la gravure. La série d’estampes Les Désastres de la guerre est presque un reportage moderne sur les atrocités commises et met en avant-plan un héroïsme où les victimes sont des individus qui n’appartiennent ni à une classe ni à une condition particulière. L’art de Goya est celui d’une conscience visionnaire. À son époque, c’est essentiellement le graveur qui fut admiré. Le peintre et portraitiste, non moins exceptionnel, ne conquit sa vraie place qu’à partir de 1900, année de la première rétrospective d’une œuvre qui avait influencé tout le XIXe siècle. Son chef-d’œuvre est la série de peintures à l’huile sur mur sec qui décorent sa maison de campagne, les Peintures noires. Avec elles, Goya anticipe la peinture contemporaine et différents mouvements avant-gardistes du XXe siècle.