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La toilette : naissance de l’intime
Présentation et sélection bibliographique, février 2015

En pratique

Exposition, Musée Marmottan-Monet, du 12 février au 5 juillet 2015

2 rue Louis Boilly - 75016 Paris
Ouvert tous les jours, sauf le lundi de 10h00 à 18h00
nocturne le jeudi jusqu’à 21h00.

Consulter le site du Musée Marmottan-Monet

L’exposition


C’est la première fois qu’un tel sujet, unique et incontournable, est présenté sous forme d’exposition. Dans ces œuvres qui reflètent des pratiques quotidiennes qu’on pourrait croire banales, le public découvrira des plaisirs et des surprises d’une profondeur peu attendue.

L’exposition s’ouvre sur un ensemble exceptionnel de gravures de Dürer, de Primatice, de peintures de l’Ecole de Fontainebleau, parmi lesquels un Clouet, l’exceptionnelle Femme à la puce de Georges de La Tour, un ensemble unique et étonnant de François Boucher, montrant l’invention de gestes et de lieux spécifiques de toilette dans l’Europe d’Ancien Régime.

Dans la deuxième partie de l’exposition, le visiteur découvrira qu’avec le XIXe siècle s’affirme un renouvellement en profondeur des outils et des modes de la propreté. L’apparition du cabinet de toilette, celle d’un usage plus diversifié et abondant de l’eau inspirent à Manet, à Berthe Morisot, à Degas, à Toulouse Lautrec et encore à d’autres artistes, et non des moindres, des scènes inédites de femmes se débarbouillant dans un tub ou une cuve de fortune. Les gestuelles sont bouleversées, l’espace est définitivement clos et livré à une totale intimité, une forme d’entretien entre soi et soi se lit dans ces œuvres, d’où se dégage une profonde impression d’intimité et de modernité.

La dernière partie de l’exposition livre au visiteur l’image à la fois familière et déconcertante de salles de bains modernes et « fonctionnelles » qui sont aussi, avec Pierre Bonnard, des espaces où il est permis, à l’écart du regard des autres et du bruit de la ville, de s’abandonner et de rêver.

© Musée Marmottan-Monet


La toilette en peinture


Vénus au miroir - Anonyme, Ecole de Fontainebleau Macon, Musée des UrsulinesLes changements majeurs des pratiques d’hygiène et d’entretien de soi dans notre histoire occidentale ne se limitent pas à la conquête du "propre". Ils sont davantage. Ils contribuent à un approfondissement de "l’intime". Ils accroissent, autrement dit, la place accordée à ce qui est privé, personnel, à ce qui est au plus secret de chacun. Ils enrichissent et spécifient ce qui se fait entre soi et soi. L’individu y gagne une affirmation et une autonomie n’appartenant qu’à lui. Les arts visuels le montrent, qui non seulement déshabillent les corps, mais les révèlent se livrant à des pratiques d’hygiène et de beauté de plus en plus précises, de plus en plus privés, dans des espaces qui, progressivement, isolent et dissimulent ceux qui les accomplissent. Cette dynamique se traduit par une "conquête" de l’espace, une transformation du regard sur l’intime, une conquête de gestes aussi, toujours plus nombreux.

Durant la Renaissance, les bains publics achèvent de disparaître. L’eau, dont le partage constituait une occasion festive, est regardée avec méfiance, comme vecteur possible de maladies. C’est dans l’élite sociale seulement qu’on continue à se baigner. Les "Dames au bain" ou "Dames à la toilette" peintes par l’Ecole de Fontainebleau à la fin du XVIIe siècle en sont l’illustration. Le rite représenté n’est pas simplement hygiénique : les représentations sont liées à des pratiques amoureuses ou symboliques de la fécondité.

Puis le bain disparaît des représentations. Le geste quotidien se passe de l’eau, rare et de mauvaise qualité. Le lieu archétypal est la chambre, et plus précisément une table réservée à la toilette "sèche", ce moment peut-être occasion sociale : la femme n’est pas seule, elle admet les domestiques et les visiteurs. Dans le nord de l’Europe, la toilette fournit des représentations moins normées qu’en France : le nu "résiste" et se charge d’un réalisme nouveau sous l’influence du caravagisme.

Au XVIIIe siècle, avec le retour progressif de l’eau, la diversité des gestes intimes rend la toilette plus privée. Des accessoires s’inventent, comme le pédiluve ou le bidet. Une phase discrète de la toilette s’impose.

Au début du XIXe siècle, la notion de ce qui est privé change profondément. La présence d’autrui n’est plus admise. Les peintres rompent avec les thèmes libertins du siècle précédent et bornent leur représentation des gestes intimes, aux apprêts de la coiffure ou du vêtement. Seule la gravure, médium plus populaire, ose encore traiter les corps avec un érotisme discret. Elle suggère et ironise plutôt qu’elle ne montre.

Dans le troisième quart du XIXe siècle, les villes en Angleterre, puis ensuite en France, se lancent à la conquête de l’eau. L’eau devient un bien plus accessible, et la pratique des ablutions quotidiennes, une exigence hygiénique. La "femme à la toilette" redevient un thème pictural. Le genre du nu est renouvelé : les corps nouveaux sont imparfaits, aux antipodes des anatomies idéales de l’académisme. A la fin du XIXe siècle, Degas accomplit une nouvelle révolution dans la représentation de la toilette : le traitement est inédit, par les points de vue et cadrages et par le traitement des surfaces et des couleurs. Après 1900, Pierre Bonnard reprend cette stratégie d’incarnation par la couleur.

Au commencement du XXe siècle, le nu féminin constitue pour les artistes des "avant-gardes" un défi. Comment traiter le corps, la sensualité de la femme, dans un langage qui ne soit pas simplement imitatif ? La question formelle prime sur le motif. Il s’agit de provoquer une émotion qui dépasse le regard pénétrant par effraction dans un lieu intime. Au lendemain de la Première Guerre mondiale se diffusent les premières "lignes" cosmétiques. La photographie renouvelle le regard que la société porte sur la toilette et en renouvelle les représentations. Elle conforte une imagerie lisse et rassurante, qui relègue la femme chez elle. Aujourd’hui, il devient difficile d’individualiser dans les arts visuels le thème de la toilette. Les conquêtes matérielles sont acquises depuis longtemps ; la question du nu se parant n’est plus d’actualité. Dès lors, les oeuvres qui mettent en scène la toilette doivent s’interpréter en fonction d’interrogation esthétiques plus générales.


Bibliographie


Femmes au bain : les métamorphoses de la beauté
Anne de Marnhac
Berger-Levrault, 1986
ART 704.942 MAR

Le Bain & le miroir : soins du corps et cosmétiques de l’Antiquité à la Renaissance : exposition, Paris, Musée de Cluny-Musée national du Moyen Age
Gallimard : RMN, 2009
ART 704.942 BAI

Une Histoire indiscrète du nu féminin : cinq siècles de beauté, de fantasmes et d’oeuvres interdites
Thomas Schlesser
Beaux-Arts éd., 2010
ART 704.942 SCH

Le Travail des apparences : ou les transformations du corps féminin, XVIIIe-XIXe siècles
Philippe Perrot
Seuil, 1984
SOC 391.6 PER

En commande

L’invention du corps : la représentation de l’homme du Moyen Age à la fin du XIXe siècle
Nadeije Laneyrie-Dagen
Flammarion, 2006 (Tout l’art)

Le propre et le sale : l’hygiène du corps depuis le Moyen Age
Georges Vigarello
Seuil, 2014 (Points)

La toilette : naissance de l’intime : catalogue de l’exposition
Hazan, 2015

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