Patrick Modiano est le quinzième écrivain français distingué par le prix Nobel de littérature.
« Pour l’art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation », a précisé l’Académie suédoise.
Quand l’éditeur Antoine Gallimard a appelé l’intéressé pour le féliciter, l’écrivain était « très heureux », mais il a répondu avec « sa modestie coutumière » qu’il trouvait cela « bizarre ».
"Ce qui est désespérant, c’est de penser à toute cette masse de souffrance et à toute cette innocence martyrisée sans laisser de traces."
Patrick Modiano à Serge Klarsfeld, Président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France.
L’Occupation, c’est le contexte dans lequel se sont rencontrés ses parents. Une mère flamande, « jolie fille au cœur sec », écrira son fils ; un père juif, Albert Modiano (« J’écris “juif”, en ignorant ce que le mot signifiait vraiment pour mon père et parce qu’il était mentionné à l’époque sur les cartes d’identité. »), aux fréquentations et activités louches, pratiquant, sous une fausse identité, le marché noir pendant la guerre.
Leur fils aîné, Patrick, naît en 1945 ; suivi en 1947 par Rudy, qui mourra dix ans plus tard. C’est à ce cadet que Patrick Modiano, au sortir d’une adolescence empreinte de solitude, entre fugues du pensionnat et errances dans les rues de Paris, dédiera son premier livre, La Place de l’Etoile, dont il estime que la publication constitue son véritable acte de naissance.
Le livre vaut au jeune homme, protégé de Raymond Queneau, d’être immédiatement remarqué et célébré pour son talent – plus rageur dans ce livre sur l’Occupation qu’il ne le sera par la suite.
Les Boulevards de la ceinture, sorti en 1972, lui vaut le grand prix de l’Académie française, Rue des boutiques obscures en 1978, le prix Goncourt, et l’ensemble de son œuvre, le grand prix national des lettres, en 1996.
En exergue de Villa triste (1975), Patrick Modiano inscrira ce vers de Dylan Thomas : « Qui es-tu, toi, voyeur d’ombres ? » Comme s’il s’adressait la question à lui-même, lui dont l’œuvre est pleine de fantômes et de pénombre, de silhouettes entraperçues et de souvenirs flous, lui qui écrira dans Dora Bruder (1997), extraordinaire enquête sur une jeune fille juive disparue dans le Paris de l’Occupation :
« Beaucoup d’amis que je n’ai pas connus ont disparu en 1945, l’année de ma naissance. »
Il dira aussi qu’il a « toujours l’impression d’être une plante née du fumier de l’Occupation ».
Ses livres ont très tôt fait de Patrick Modiano une figure majeure de la littérature française. Il y a ces déambulations dans les rues de Paris, ces atmosphères crépusculaires, ces enquêtes qui n’en sont pas, qui tournent court, et ces personnages que l’on peut reconnaître d’un livre à l’autre – Patrick Modiano professe que le matériau biographique n’a d’intérêt que s’il est « vaporisé dans l’imaginaire ».
Il y a aussi le personnage public, qui éveille immédiatement l’affection de ses lecteurs, avec ses phrases hésitantes, pleines de points de suspension que laisse traîner sa belle voix basse et cendreuse.
L’écrivain a décroché le prix Goncourt avec Rue des boutiques obscures en 1978, mais, dès son premier roman, La Place de l’étoile, publié en 1968, il fait une entrée fracassante en littérature.
Modiano est l’auteur d’une œuvre dense aussi bien en romans qu’en scénarios. Il a également écrit des chansons pour Françoise Hardy et Régine.
Son dernier livre, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, hanté par ses thèmes de prédilection, paru le 2 octobre 2014, était un succès de librairie avant même l’annonce du Nobel.
Patrick Modiano avec Françoise Hardy en 1969. Il lui a écrit la chanson, "Etonnez-moi Benoit".
La Place de l’étoile
Gallimard (1968)
R MOD
C’est son premier roman, il est atypique dans l’œuvre de Modiano. Une histoire dingue, presque parodique. Ce livre est composé comme un récit autobiographique d’un Juif antisémite au ton virulent et qui pense que la terre entière lui en veut.
Voici l’épigraphe présageant l’humour noir du livre :
« Au mois de juin 1942, un officier allemand s’avance vers un jeune homme et lui dit : "Pardon, monsieur, où se trouve la place de l’Etoile ?" Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine."
Rue des Boutiques Obscures
Gallimard (1978)
R MOD
L’écrivain obtient le prix Goncourt pour ce titre, qui illustre à merveille son travail. Il s’agit de l’histoire de Guy Roland, un détective qui a un temps été amnésique, et à qui on a attribué une fausse identité. Il part à la quête de son propre passé qui le conduit en partie dans le milieu de l’émigration russe.
"Et puis, il me fallait tenter une dernière démarche : me rendre à mon ancienne adresse à Rome, rue des Boutiques Obscures."
Dora Bruder
Gallimard (1997)
LIT 844 MOD
À partir d’une petite annonce parue dans un journal en 1941 qui fait état de la fugue d’une jeune fille, « née le 25 février 1926 à Paris 12ème », le narrateur tente de retrouver la trace de cette jeune Juive de 15 ans, des décennies plus tard. Cette fugue le renvoie à sa propre enfance. Le roman se termine par ces mots :
« J’ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d’hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s’est échappée à nouveau. C’est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d’occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l’Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n’auront pas pu lui voler. »
Un pedigree
Gallimard (2005)
R MOD
C’est sans doute le livre le plus autobiographique de Modiano qui tente de se souvenir de sa jeunesse jusqu’à la publication de son premier roman à l’âge de 22 ans. C’est sans doute aussi son titre le plus « sec » et le plus court.
« J’écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n’était pas la mienne. »
En utilisant la première personne, l’auteur raconte son enfance et sa jeunesse : tous les thèmes, les ambiances, les personnages croisés fugitivement dans son œuvre.
Mais loin d’être une autobiographie, ce récit est donné sur le ton du constat bref et s’apparente à un interrogatoire.
Lacombe Lucien
Réalisation et scénario de Louis Malle d’après Modiano
ARTE Vidéo (1974)
F MAL
Ce film est important à deux titres : il montre le travail de scénariste de Modiano ; et le fait que, même lorsqu’il s’attaque à d’autres registres, l’écrivain reste obsédé par son sujet et le trouble de l’époque.
L’histoire est celle d’un jeune paysan français qui veut d’abord travailler pour la Résistance et se retrouve enrôlé par la Gestapo.
10 romans
Quarto (2014) En cours d’acquisition à la Médiathèque
Les Éditions Gallimard ont rassemblé dix romans dans la collection « Quarto ». Un recueil de dix titres publiés entre 1975 et 2010. Ces textes réunis forment une autobiographie imaginaire de Modiano, un lien avec son enfance, les personnages qui ont marqué sa vie, l’Occupation puis les années d’après-guerre… Il s’agit de Villa triste, Livret de famille, Rue des Boutiques Obscures, Remise de peine, Chien de printemps, Dora Bruder, Accident nocturne, Un pedigree, Dans le café de la jeunesse perdue, L’Horizon.
Modiano
L’Herne (2012)
LIT 844 MOD
Ce cahier spécial est dirigé par Maryline Heck et Raphaëlle Guidée. Il évoque le parcours et l’œuvre du romancier à travers des études de spécialistes, des articles critiques, des entretiens, des témoignages et une volumineuse correspondance. Il contient également des inédits et des textes rares de l’écrivain.
Patrick Modiano
INA/Textuel (2008)
LIT 844 MOD
Cet essai critique porte sur les romans de P. Modiano, dont les thèmes du temps, du lieu et de l’identité s’imposent. Le document sonore joint est une radioscopie de Jacques Chancel réalisée en 1972 et issue des archives de l’INA.